samedi 31 janvier 2015

Une femme de Virieu-le-Grand

Comme on le sait, la grand-mère de Jean Genet, Clotilde Genet, est originaire de Virieu-le-Grand, dans le Bugey (Ain), où elle est née en 1845. Par un de ces hasards qui font l'intérêt des recherches historiques, il se trouve qu'une autre femme de Virieu, Françoise Genet (sans parenté avérée) a été largement évoquée par son fils Sébastien Commissaire. 

Sébastien Commissaire, né à Dôle en 1822, fils d’Étienne Commissaire et Françoise (ou Marie) Genet est un tisserand lyonnais républicain. En garnison à Strasbourg, il est élu député du Bas-Rhin en 1849. Compromis lors de la journée du 13 juin 1849, il est condamné et emprisonné 10 ans à Doullens, Belle-Ile et Corte, avant d'être amnistié et libéré en 1859. En 1888, il publie ses Mémoires et souvenirs, dans lesquels il évoque très largement son enfance, l'histoire de sa famille et particulièrement ses père et mère. En rassemblant les différentes évocations concernant sa mère, on peut tracer le portrait, voire la psychologie, d'une femme du peuple de Virieu-le-Grand. Cela nous donne un éclairage sur l'univers mental qui était celui de Clotilde Genet, qui était originaire du même milieu dans le même village, avec la seule réserve qui est qu'un exemple particulier ne peut être érigé en modèle général. Il faut aussi noter qu'un peu plus d'une génération sépare les deux femmes.

Les origines

Etienne Commissaire, originaire de la Haute-Saône, teinturier s'installe à Virieu-le-Grand vers 1820, avec sa première femme et ses enfants :

Il s'arrêta à Virieux-le-Grand (Ain), charmant village, bâti dans une vallée au pied de hautes montagnes et arrosé par une petite rivière qui ne tarit pas. Il s'y établit teinturier ; en outre, il monta un métier de tisserand et fit de la toile en attendant que sa boutique de teinturier s'achalandât. Ses affaires étaient en bonne voie lorsque sa femme mourut. Il resta veuf avec quatre enfants, dont l'aîné avait à peine onze ans et le plus jeune deux ans.
[...]
Après quelques mois de veuvage, il épousa ma mère, âgée alors de vingt-six ans (le 6 novembre 1821). Ma mère n'était jamais sortie de son village ; elle parlait le patois de son pays et très peu le français, ainsi que la plupart de ses contemporaines. Elle fut charmée par les discours que lui tint mon père qui avait, nous disait-elle plus tard, la langue dorée. Ma mère, robuste campagnarde, était une excellente femme, c'était la bonté même, un cœur d'or dans un corps de chêne ; elle prêta l'oreille aux propositions de mariage que lui fit mon père, sans s'effrayer de la rude tâche qui l'attendait.
Quand j'ai été grand, ma mère me disait naïvement en me parlant de son mariage : « Plus on voulait m'en détourner, plus je le voulais ; ton père m'avait ensorcelée avec sa belle langue. D'ailleurs, on ne gagnait guère d'argent au pays. Avant la mort de ta grand-mère, j'avais été domestique et je ne gagnais que dix écus (trente francs) par an ; aussi, mon ambition était d'épouser un homme d'état. » Ma mère voulait dire un homme qui exerçait une profession, qui avait un état.
Fille d'un cultivateur, elle avait eu le malheur de perdre sa mère depuis longtemps déjà. Mon grand-père maternel était resté veuf avec six enfants, trois garçons et trois filles dont ma mère était l'aînée. Elle fit de bonne heure l'apprentissage de tout ce que la vie à de pénible pour les pauvres; elle dut servir de mère à ses frères et sœurs, tous plus jeunes qu'elle. (pp. 4-5)

On notera au passage les très modestes gains d'une domestique vers 1820.

Les rapports mari/femme et l'autorité maritale
Avec une certaine simplicité, Sébastien Commissaire évoque plusieurs fois les rapports entre ses parents.

Mon père était d'une sévérité excessive, quand il commandait : il fallait obéir à l'instant, sans cela les coups suivaient de près le commandement. [...] Ma pauvre mère courbait la tête devant la volonté despotique de son mari. Elle osait à peine caresser ma sœur Annette et moi, de peur d'exciter la jalousie de mes frères et sœurs aînés dont elle n'était que la belle-mère.
[...]
Mon père avait de singulières idées sur l'autorité maritale et paternelle; il croyait avoir le droit de battre sa femme et ses enfants sans que personne ait rien à y voir.
Ces idées absurdes avaient cours dans le milieu où il vivait. Je me rappelle avoir vu dans ma jeunesse ces idées partagées par un grand nombre d'ouvriers. Presque partout où j'ai travaillé, soit enfant, soit jeune homme, j'ai vu les maris battre leurs femmes. Ils ne se croyaient pas méchants pour cela, ils pensaient tout simplement user d'un droit. (pp. 10-12)
Pendant bien des années, ma mère considéra son mari comme un homme extraordinaire. Elle avait pour lui plus que du respect, c'était de la vénération. Mon père la tutoyait, ainsi que cela se fait en France entre mari et femme, mais ma mère lui disait vous; elle n'aurait pas osé le tutoyer, tellement elle le croyait son supérieur. Mais ce qu'il y avait de bizarre dans leur manière de faire, c'est que dès qu'ils se querellaient, les rôles s'intervertissaient; mon père disait vous à ma mère, et elle lui disait tu. (p. 15)
Portrait d'une mère

Au gré du livre, il trace plusieurs fois le portrait de sa mère, un portrait chaleureux et bienveillant, mais souvent lucide :

En 1830, les affaires de ma famille semblaient entrer dans une voie prospère, lorsque mon père fît une terrible maladie. Il garda le lit pendant quatre mois. Ma mère a montré dans ces circonstances un dévouement sans bornes. Il fallait qu'elle fût robuste comme elle l'était pour résister à tant de fatigues. Jour et nuit, elle était sur pieds, sauf pendant un mois où des voisins se dévouèrent pour passer la nuit, près de de mon père, à tour de rôle. Ce fut un acte touchant de fraternité dont nous avons tous conservé un souvenir ineffaçable.(p. 22)
J'allai chez ma mère ; elle savait déjà que j'avais sauvé le petit Henri, elle m'embrassa.
– La mère de ce petit doit être bien contente, dit ma mère; sans toi, il se serait noyé.
– Je ne sais, maman, mais voilà ce qu'elle a dit. (Je répétai les paroles de la dame.)
– Est-ce possible, s'écria ma mère, cette femme n'aime donc pas son enfant ?
Ma mère me donna une chemise sèche et mon pantalon des dimanches pour me changer. (p. 56)
Ce que j'avais appris chez les Frères était bien peu de chose. Tout mon savoir se bornait à la lecture, à l'écriture, à l'arithmétique : en outre, j'avais quelques notions de géographie. Je connaissais très peu l'orthographe, je n'avais aucune notion d'histoire universelle et aucune idée de ce qu'était une science.  [...]
Ma mère ne sachant pas lire trouvait que j'étais assez savant; elle me grondait parce que je veillais tard pour m'instruire et aussi parce que je brûlais de l'huile.
Malgré ces petites contrariétés, j'exerçai bientôt une grande influence sur son esprit ; elle ne faisait rien sans me consulter. S'agissait-il d'acheter une robe à une de mes sœurs ou un pantalon à mon jeune frère, elle me demandait toujours mon avis. Accoutumée à une sorte d'obéissance passive vis-à-vis de mon père, il lui semblait qu'elle avait été créée pour obéir et travailler.
Ma mère a travaillé énormément toute sa vie, mais jamais autant que durant la période de 1837 à 1842. Chaque matin, elle partait avant le jour au marché faire ses achats ; elle s'en revenait chargée à la maison, déposait une partie de ses marchandises et partait revendre dans les ateliers ce qu'elle avait acheté le matin. Quand elle trouvait à laver du linge pour une de ses pratiques, elle le faisait l'après-midi, parce que les ouvriers tisseurs ayant l'habitude de dîner à 1 heure, la vente était à peu près nulle le tantôt. Elle portait aussi en nourrice les enfants de ses pratiques, moyennant une rétribution un peu supérieure à ce qu'elle gagnait habituellement. C'était alors une corvée très pénible; les chemins de fer n'existaient pas encore, il lui fallait passer une nuit en voiture pour aller et une autre nuit pour revenir. Pauvre mère, rien ne la rebutait ! (pp. 68-69)
Le jour anniversaire de ma naissance, 10 septembre, j'ai bien pensé à vous tous, mais principalement à ma bonne mère. Il y a trente ans qu'elle souffrait pour me mettre au monde; depuis, son affection pour moi ne s'est jamais démentie, sa vie n'a été qu'un long dévouement; bien que sa tâche fût lourde pour nous élever, elle n'a jamais désespéré de nous voir arriver à l'âge d'homme. Je me rappelle une réponse que lui dictait son bon sens et qui m'avait frappé. C’était un jour qu'on la contrariait au sujet de ses quatre marmots qui ne gagnaient pas un sou et qui avaient le malheur d'avoir un appétit de petits loups. « Bah ! dit-elle, ça ne durera pas toujours, les petits deviendront grands, s'il plaît à Dieu! »
C'est pour elle surtout que je voudrais devenir libre, afin de lui rendre une partie des soins qu'elle m'a prodigués. [extrait d'une lettre à son beau-frère Joanny, II, p. 17)
Ma mère pleurait facilement, le moindre chagrin lui faisait venir les larmes aux yeux. J'ai hérité d'elle, je ne sais si je dois dire de ce défaut ou de cette qualité : aussi il m'avait fallu bien des efforts pour ne pas pleurer devant ma mère et mes sœurs. (p. 115)

L'attachement au pays natal

Ce passage, assez savoureux, apporte un éclairage sur l'attachement au pays natal. On y voit rapporter un attachement quasi viscéral de sa mère à quelques lopins de terre du pays natal, dont elle n'accepte de se séparer qu'à la toute dernière extrémité, bien qu'elle ait quitté le pays. Preuve de sa détermination, elle a même bravé l'autorité de son mari. Cela fait écho au comportement de Clotilde Genet qui, malgré des difficultés financières évidents, ne s'est séparée de deux dernières parcelle provenant de l'héritage de ses parents à Virieu-le-Grand qu'en 1898.

Vers la fin de 1828, mon père et ma mère firent un voyage dans le Bugey ; mes oncles et mes tantes maternels étaient majeurs et ils désiraient partager quelques lambeaux de terre que leur mère leur avait laissés. Comme j'étais l'aîné des enfants de ma mère, mes parents m'achetèrent des habits neufs et m'emmenèrent avec eux.
Mon père voulait que ma mère consentît à vendre sa part d'héritage ; elle ne voulut pas, disant que cela se mangerait sans profit, qu'elle voulait la garder pour ses enfants.
Un jour, que nous revenions de voir des cousins à Saint-Martin-de-Bavelle, à trois ou quatre kilomètres environ de Virieu-le-Grand, une discussion très vive s'éleva entre mes parents au sujet de ce petit héritage; nous étions seuls sur la route; mon père se fâcha et menaça de frapper ma mère si elle persistait à ne pas consentir a vendre ce qui lui revenait. Ma mère résista; mon père voyant que les menaces n'aboutissaient pas, employa un autre moyen. Il lui dit qu'il ne voulait pas qu'elle retournât avec lui à Besançon, qu'il allait la quitter, etc. Puis, s'adressant à moi qui pleurait :
– Choisis celui que tu aimes le mieux. Veux-tu rester ici avec ta mère ou venir avec moi ?
Ma mère me tenait par la main et me regardait les yeux pleins de larmes, attendant ma réponse avec anxiété. J'étais bien embarrassé, j'aimais bien mon père, mais je préférais ma mère qui était moins dure et plus indulgente que lui. Si je disais que je préférais rester avec ma mère, j'étais sur de recevoir des coups; si, au contraire, je disais que je voulais aller avec mon père, j'aurais déchiré le cœur de ma pauvre mère. Je ne savais quoi répondre.
– Eh bien! me dit mon père, que veux-tu faire ?
– J'aime mieux aller avec vous deux, m'écriai-je en pleurant.
Mon père, qui ne trouva pas la réponse telle qu'il l'espérait, me dit :
– Ne pleure pas, imbécile ; va! nous resterons tous ensemble.
Ma mère, qui avait l'habitude d'obéir passivement, résista cette fois avec une grande énergie. Elle ne céda qu'un an plus tard et lorsque la misère était à son comble dans notre maison. (pp. 13-15)
Elle a su transmettre l'amour du pays natal à ses fils, comme en témoigne cette lettre de Sébastien Commissaire. Né à Dôle et ayant quasiment toujours vécu à Lyon, il n'a dû faire que des séjours brefs à Virieu. Malgré cela, et peut-être parce que c'est le pays natal de sa mère, il montre un profond attachement.

Dans le mois d’août [1853], j’eus l’occasion de faire sortir une lettre en secret. En voici quelques passages :
« Mon cher Joanny,
Le beau temps a favorisé, dis-tu, ton dernier voyage dans le Bugey : j’en suis bien aise, tu as pu admirer la campagne qui devait être belle. Il me semble te voir à Virieu-le-Grand, lever la tête pour regarder la montagne de Cérémont avec ses flancs abruptes et son sommet couronné d’une forêt de sapins. Je pense que tu n’as pas oublié de faire une promenade à la source de la petite rivière qui traverse le village. Je me rappelle l'avoir visitée en compagnie de mon frère Jean-Pierre, il y a déjà bien longtemps ; je m'en souviens toujours avec plaisir. L'aspect sauvage du lieu, les mousses qui tapissent les rochers humides et les arbres qui l'ombragent poétisent ce lieu charment; le silence de la solitude, qui n’est troublé que par le bruit de l'eau qui tombe en cascades et par le chant des oiseaux, porte à la rêverie.
Tu as vu aussi les coteaux garnis de vignes et au milieu d'elles les ruines du vieux château, ancienne demeure seigneuriale qui a appartenu, dit-on, à Honoré d'Urfé, l'auteur du roman de l'Astrée. Ces ruines, antiques débris de la féodalité, attestent que tout passe en ce monde ; rien ne résiste à l’action du temps : hommes et choses sont détruits, un peu plus tôt ou un peu plus tard. »

La religion

Rappelons qu'à l'époque, la constitution du contingent militaire se faisait par tirage au sort. C'est l'occasion de mettre à l'épreuve le sentiment religieux, pas dépourvu de superstition, de sa mère.

A mesure qu'approchait le moment où je devais satisfaire à la loi sur le recrutement de l'armée, les préoccupations et les inquiétudes de ma mère grandissaient. [...]
Ma mère avait conservé les croyances religieuses de son jeune âge. Lorsque le jour du tirage fut fixé, elle fit une neuvaine à la sainte Vierge, puis elle paya pour faire dire une messe dans l'église de Notre-Dame de Fourvière ; en outre elle introduisit, à mon insu, entre la doublure et le drap de ma redingote une prière qu'on lui avait donnée. Cette prière devait avoir la vertu de me faire mettre la main sur un bon numéro. Ma pauvre mère ne réfléchissait pas que si tous les conscrits avaient eu la même prière sur eux, elle n'aurait pas pu agir efficacement pour tous, puisqu'il fallait former le contingent malgré tous les talismans imaginables.
[...] A l'appel de mou nom, je mis la main dans l'urne et j'en tirai le numéro 9. Ma famille fut dans la désolation.
Nous avions pour voisin une famille dont le fils avait été Frère ignorantin ; il s'était fait renvoyer de l'ordre par suite de son inconduite; cela n'empêcha pas ce garçon de tirer le même jour un des plus forts numéros du canton.
Ma mère disait: « Est-ce possible? mon Sébastien a tiré le numéro 9, lui qui m'est si utile, qui m'a aidé à élever son frère et ses sœurs, et ce vaurien de X, qui ne fait que du chagrin à ses parents, a un bon numéro ! Est-ce juste, ça ? » Je dois dire que ma mère regretta l'argent de sa messe et ne fréquenta presque plus les églises. (pp. 88-89)

François Genet est morte à Lyon, le 14 août 1861 à 66 ans, à son domicile de la Grande-Côte, « après des souffrances épouvantables, d’un cancer au sein droit. »

Dans l'état civil, elle a été enregistrée sous le prénom de Marie, mais son prénom d'usage était Françoise. Cette différence entre les prénoms officiels et prénoms d'usage devait être un usage local, car on le retrouve pour Clotilde Genet, qui avait été initialement prénommée Claudine.

mardi 13 janvier 2015

La première nourrice de Jean Genet : Félicie Roger, née Paris

Dans l’histoire de Jean Genet, son long séjour en placement dans le village d'Alligny dans le Morvan fait partie de l’histoire des premières années de l’écrivain. Il a pourtant connu un autre placement en nourrice pour quelques mois au tout début de sa vie.


En effet, tout de suite après sa naissance, Jean Genet est mis en nourrice dans un petit village de l’ancienne Seine-et-Oise, Santeuil, aujourd’hui dans le Val d’Oise. On oublie trop souvent que pour une femme qui travaillait, il n’y avait guère que la mise en nourrice de l’enfant comme solution afin de lui permettre de continuer à gagner sa vie. Cela est d’autant plus vrai pour Camille Genet qu’elle était seule, mais ces pratiques allaient bien au-delà, pour tous les ménages modestes qui ne pouvaient pas se permettre de voir l’épouse arrêter de travailler. Les lettres publiées de la mère de Jean Genet nous permettent de connaître le nom de sa nourrice : Félicie Roger. C’est en effet la difficulté de lui payer la pension mensuelle de 35 francs qui amène Camille Genet à d’abord demander un secours à l’Assistance publique de Paris, puis à envisager l’abandon de son fils.

C’est ainsi que Jean Genet passe quelques mois à Santeuil entre sa naissance en décembre 1910 et son retour à Paris en juillet 1911 avant d’être placé en famille d’accueil dans le Morvan,. Il se trouve que cette même année 1911 est aussi l’année du recensement quinquennal. Le 24 mars 1911, l'adjoint au maire de Santeuil signe le bordereau de sa commune, dans lequel il décompte 131 habitants. Parmi eux, le ménage suivant :



Comme on le voit, Jean Genet, éphémère habitant de Santeuil, est porté dans le recensement de la commune. Il n’est pas le seul nourrisson car une autre famille  en abrite deux. Comme on le sait pour d’autres régions, le placement des enfants en nourrice était une source appréciable de revenu d’appoint pour les familles de paysans modestes. Le mari de Félicie Paris, Hilaire Roger, est simplement qualifié de journalier, au service de « divers » patrons, autrement dit, il gagne sa vie au jour le jour en se plaçant chez les cultivateurs qui veulent bien lui donner du travail. Quelques années auparavant, il était domestique ou charretier. Les revenus sont sûrement faibles et toujours irréguliers, dépendant de l’activité agricole et des patrons. On comprend qu’un revenu régulier est bienvenu, quand on sait que le salaire d’un journalier était de l’ordre de 2,50 francs par jour de travail à mettre en regard des 35 francs mensuels du "nourrissage".

La Grand Rue, où habitait la famille Roger, est la rue qui monte, après le pont.
C'est aujourd'hui la rue Jean-Mermoz.


On en sait un peu plus sur Félicie Roger, née Elise Félicie Paris.

Elle est née dans un petit village voisin, Gouzangrez, le 25 juillet 1863, fille d’un couple de  cultivateurs Ferdinand Antoine Paris et Clotilde Elisa Mondion. A peine âgée de 21 ans, elle épouse un mécanicien originaire de Senon dans la Meuse, qui porte le très inhabituel prénom de Myrtile et le nom plus commun de Fort. Il habite alors Crouy, dans l’Aisne. Le mariage a lieu à Gouzangrez le 25 septembre 1884. Au bas de l’acte, on trouve la signature de Félicie Paris.


Myrtile Fort et sa femme Félicie semblent avoir eu une vie assez errante car pour la naissance de leurs deux premiers enfants, Jeanne et René Félicien, respectivement en 1885 et1886, Félicie Fort revient accoucher chez ses parents dans le Val d'Oise (alors Saine-et-Oise), alors qu’ils habitent Crouy (Aisne) en 1885 puis Gisors (Eure) en 1886. On retrouve leur trace en 1897. Ils habitent Marines, un chef-lieu de canton du Val d’Oise, à quelques 10  kilomètre de Gouzangrez, lorsque Myrtle Fort meurt à l’hôpital de Clermont, dans l’Oise. Il est lui aussi qualifié de journalier. Il devait aller chercher le travail au gré des possibilités, dans un périmètre asse large.

Quelques années plus tard, le 10 septembre 1900,  veuve de 37 ans, elle épouse Hilaire Roger, plus jeune de onze ans, domestique à Marines, bien que né à Etrepagny dans l’Eure.

 Signatures de Félicie Paris et de Hilaire Roger, au bas de leur acte de mariage.

La fiche de matricule de Hilaire Roger donne une bonne idée de cette instabilité dans les domiciles en dix ans : Saint-Germain-en-Laye, Bougival, ferme de Gagny à Loconville (Oise), Marines (Val d'Oise), Le Perchay (Val d'Oise) et Santeuil (Val d'Oise) :



De même pour les professions. Initialement boulanger, il est ensuite domestique, charretier, journalier.

D’abord installés à Marines, où leur naisse une première fille Raymonde en 1903, Hilaire et Félicie Roger s’installent à Le Perchay en 1905. Lors du recensement de 1906, ils hébergent deux nourrissons, les frères Louis et Marcel Cottard, respectivement nés en 1904 et 1905, fils d'un horticulteur d'Argenteuil. Ensuite, village voisin, ils s'installent à Santeuil en 1908, où leur naît un deuxième enfant, Louis, alors que Félicie Roger a déjà 45 ans. C’est juste après qu’ils accueillent Jean Genet dans leur foyer. Après 1911, on retrouve leur trace à Cormeille-en-Parisis où ils devaient être domiciliés au moment de la guerre de 14. Appelé sous les drapeaux dès la déclaration de guerre en 1914, Hilaire Roger est incorporé le 3 août. Il meurt quelques mois plus tard, le 16 décembre 1914 d'une gastro-entérite, à l'hôpital temporaire d'Is-sur-Tille dans la Côte d'Or, à l'âge de 40 ans.


Son nom est porté sur le monument aux morts de Cormeille-en-Parisis, dans l'église Saint-Martin. Son nom se trouve dans le panneau central, colonne de droite, 3e nom à partir du haut.


On sait seulement que sa veuve a touché un "secours immédiat" de 150 francs le 8 octobre 1915. Après cette date, on perd sa trace.