mardi 13 janvier 2015

La première nourrice de Jean Genet : Félicie Roger, née Paris

Dans l’histoire de Jean Genet, son long séjour en placement dans le village d'Alligny dans le Morvan fait partie de l’histoire des premières années de l’écrivain. Il a pourtant connu un autre placement en nourrice pour quelques mois au tout début de sa vie.


En effet, tout de suite après sa naissance, Jean Genet est mis en nourrice dans un petit village de l’ancienne Seine-et-Oise, Santeuil, aujourd’hui dans le Val d’Oise. On oublie trop souvent que pour une femme qui travaillait, il n’y avait guère que la mise en nourrice de l’enfant comme solution afin de lui permettre de continuer à gagner sa vie. Cela est d’autant plus vrai pour Camille Genet qu’elle était seule, mais ces pratiques allaient bien au-delà, pour tous les ménages modestes qui ne pouvaient pas se permettre de voir l’épouse arrêter de travailler. Les lettres publiées de la mère de Jean Genet nous permettent de connaître le nom de sa nourrice : Félicie Roger. C’est en effet la difficulté de lui payer la pension mensuelle de 35 francs qui amène Camille Genet à d’abord demander un secours à l’Assistance publique de Paris, puis à envisager l’abandon de son fils.

C’est ainsi que Jean Genet passe quelques mois à Santeuil entre sa naissance en décembre 1910 et son retour à Paris en juillet 1911 avant d’être placé en famille d’accueil dans le Morvan,. Il se trouve que cette même année 1911 est aussi l’année du recensement quinquennal. Le 24 mars 1911, l'adjoint au maire de Santeuil signe le bordereau de sa commune, dans lequel il décompte 131 habitants. Parmi eux, le ménage suivant :



Comme on le voit, Jean Genet, éphémère habitant de Santeuil, est porté dans le recensement de la commune. Il n’est pas le seul nourrisson car une autre famille  en abrite deux. Comme on le sait pour d’autres régions, le placement des enfants en nourrice était une source appréciable de revenu d’appoint pour les familles de paysans modestes. Le mari de Félicie Paris, Hilaire Roger, est simplement qualifié de journalier, au service de « divers » patrons, autrement dit, il gagne sa vie au jour le jour en se plaçant chez les cultivateurs qui veulent bien lui donner du travail. Quelques années auparavant, il était domestique ou charretier. Les revenus sont sûrement faibles et toujours irréguliers, dépendant de l’activité agricole et des patrons. On comprend qu’un revenu régulier est bienvenu, quand on sait que le salaire d’un journalier était de l’ordre de 2,50 francs par jour de travail à mettre en regard des 35 francs mensuels du "nourrissage".

La Grand Rue, où habitait la famille Roger, est la rue qui monte, après le pont.
C'est aujourd'hui la rue Jean-Mermoz.


On en sait un peu plus sur Félicie Roger, née Elise Félicie Paris.

Elle est née dans un petit village voisin, Gouzangrez, le 25 juillet 1863, fille d’un couple de  cultivateurs Ferdinand Antoine Paris et Clotilde Elisa Mondion. A peine âgée de 21 ans, elle épouse un mécanicien originaire de Senon dans la Meuse, qui porte le très inhabituel prénom de Myrtile et le nom plus commun de Fort. Il habite alors Crouy, dans l’Aisne. Le mariage a lieu à Gouzangrez le 25 septembre 1884. Au bas de l’acte, on trouve la signature de Félicie Paris.


Myrtile Fort et sa femme Félicie semblent avoir eu une vie assez errante car pour la naissance de leurs deux premiers enfants, Jeanne et René Félicien, respectivement en 1885 et1886, Félicie Fort revient accoucher chez ses parents dans le Val d'Oise (alors Saine-et-Oise), alors qu’ils habitent Crouy (Aisne) en 1885 puis Gisors (Eure) en 1886. On retrouve leur trace en 1897. Ils habitent Marines, un chef-lieu de canton du Val d’Oise, à quelques 10  kilomètre de Gouzangrez, lorsque Myrtle Fort meurt à l’hôpital de Clermont, dans l’Oise. Il est lui aussi qualifié de journalier. Il devait aller chercher le travail au gré des possibilités, dans un périmètre asse large.

Quelques années plus tard, le 10 septembre 1900,  veuve de 37 ans, elle épouse Hilaire Roger, plus jeune de onze ans, domestique à Marines, bien que né à Etrepagny dans l’Eure.

 Signatures de Félicie Paris et de Hilaire Roger, au bas de leur acte de mariage.

La fiche de matricule de Hilaire Roger donne une bonne idée de cette instabilité dans les domiciles en dix ans : Saint-Germain-en-Laye, Bougival, ferme de Gagny à Loconville (Oise), Marines (Val d'Oise), Le Perchay (Val d'Oise) et Santeuil (Val d'Oise) :



De même pour les professions. Initialement boulanger, il est ensuite domestique, charretier, journalier.

D’abord installés à Marines, où leur naisse une première fille Raymonde en 1903, Hilaire et Félicie Roger s’installent à Le Perchay en 1905. Lors du recensement de 1906, ils hébergent deux nourrissons, les frères Louis et Marcel Cottard, respectivement nés en 1904 et 1905, fils d'un horticulteur d'Argenteuil. Ensuite, village voisin, ils s'installent à Santeuil en 1908, où leur naît un deuxième enfant, Louis, alors que Félicie Roger a déjà 45 ans. C’est juste après qu’ils accueillent Jean Genet dans leur foyer. Après 1911, on retrouve leur trace à Cormeille-en-Parisis où ils devaient être domiciliés au moment de la guerre de 14. Appelé sous les drapeaux dès la déclaration de guerre en 1914, Hilaire Roger est incorporé le 3 août. Il meurt quelques mois plus tard, le 16 décembre 1914 d'une gastro-entérite, à l'hôpital temporaire d'Is-sur-Tille dans la Côte d'Or, à l'âge de 40 ans.


Son nom est porté sur le monument aux morts de Cormeille-en-Parisis, dans l'église Saint-Martin. Son nom se trouve dans le panneau central, colonne de droite, 3e nom à partir du haut.


On sait seulement que sa veuve a touché un "secours immédiat" de 150 francs le 8 octobre 1915. Après cette date, on perd sa trace.

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